5 août 2011

Plage abandonnée, surfeurs défoncés et crustacés

Jeudi 19 Mai - 14h50. Sciences Po. Je termine mon oral sur le sursaut républicain de la Commune de Paris et je savoure déjà mes vacances d’été surement plus désirées que méritées.

Mardi 14 Juin – 9h. Ateneo de Manila University. C’est la rentrée. Mon ersatz de vacances d’été se termine mi-juin et alors que les lycéens français pré-pubères n’ont pas encore planché sur les épreuves du Bac, je reprends docilement le chemin de l’école. La nouvelle est assez difficile à assimiler pour le jeune étudiant en troisième année que je suis. Alors, j’écoute d’une oreille distraite le premier cours d’introduction à la sociologie et, plus que vers le manifeste du bon vieux Karl, mon esprit divague tout doucement vers les plages de sable fin, les palmiers et les paysages verdoyants promis par le Lonely Planet.  
Parce que oui, pour cette 3A, je revendique mon droit fondamental et inaliénable au voyage et aux weekends s’étalant du jeudi soir jusqu’au mardi matin pour découvrir les montagnes au nord, apprendre à surfer sous le soleil des tropiques et jouer de l’harmonica sur une île paradisiaque perdue dans le Pacifique. C’est aussi (et peut être surtout) ça les Philippines. Et au passage, j’ai une pensée solidaire pour les collègues qui, dans un élan suicidaire, sont partis s’enterrer sous la neige de Toronto ou qui ont consciemment décidé de se ruiner à Londres ou à Dublin. Chacun sa 3A.

                Trop de monde et trop de pollution à Manille. « Les potes, c’est décidé, on part ce weekend,… mais où ? ». Pas de questions inutiles, on part, c’est tout. Vendredi matin, sacs sur le dos et sourires aux lèvres, on se retrouve à la gare routière. Décision prise après avoir épluché le Lonely et comparé les prix : ça sera les îles Capones, à Zambales. Ca nous aura coûté une poignée de pesos mais surtout 5heures de trajet à bord d’un bus climatisé comme une chambre froide. Beug dans la matrice des transports philippins ?! Pas du tout. Tous les bus du pays se sont lancés un défi mystérieux mais franchement malsain : à celui qui mettra la clim plus fort que le voisin pour récolter le plus d’angines chez les pauvres passagers qui ne savent plus quoi inventer pour gagner quelques précieux degrés corporels. Après un changement de bus, et 20 minutes douloureuses de tricycle, nous échouons sur la plage de Pundaquit. Et là, c’est le drame. Notre rêve d’île déserte se brise face au « Impossible my friend, there is a risk of typhoon this weekend, the sea is too dangerous ». Négociations closes. Et même notre air dubitatif à la vue du grand ciel bleu au dessus de nos têtes n’a pas suffis à le faire changer d’avis. Après avoir longuement hésité à contredire son diagnostic de marin d’eau douce, et avoir mis de côté l’option traversée à la nage, on se dit que finalement, Pundaquit avec sa plage, sa mer, ses vagues et ses surfeurs, est un plan B plus qu’acceptable.

                Un étudiant en échange aux Philippines qui se respecte fuit comme la peste les sentiers battus par les hordes de touristes par définition riches, trop nombreux et irrespectueux. Il maudit ces êtres détestables qui n’aspirent qu’à remplir leurs Nikon et checker les « inratables » du Lonely Planet dans un voyage aseptisé et sans saveurs. Non, définitivement non, cette noble âme alternative et altruiste a soif de rencontres, d’authenticité, de galères et de petits prix. Cet individu étrange sourit quand il souffre assis sur le toit d’un jeepney authentique, est prêt à payer 100pesos de plus pour un logement « authentique et typique » et se régale avec son Balut authentique (et je confirme, après avoir testé pour vous, qu’on ne peut pas se régaler avec un Balut, qui n’est rien d’autre qu’un fœtus de poussin cuit à la vapeur). En somme, l’étudiant en 3A aux Philippines veut voyager au sens propre. Ou du moins, il y aspire avec plus ou moins de succès et de sincérité. Nous avons donc essayé de suivre cette philosophie en nous entassant à 6 dans une petite hutte sur la plage (le moins cher sur le marché), en grignotant des gâteaux à 5pesos et en rencontrant les surfeurs philippins. 

                Le premier jour n’a été que plaisir et volupté dans un remake réussi de « sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés » face au soleil couchant. Le tout se terminant tranquillement dans un petit resto autour d’un jeu de tarot et de spring rolls à se rouler par terre. Mais le lendemain, tout s’accélère puisqu’on rencontre Josh, et grâce à lui toute la communauté des surfeurs du coin de paradis qui nous abrite pour le weekend. Les voyageurs « alternatifs et altruistes » qui sommeillent en nous exaltent puisque nous touchons au saint des saints du Voyage, au Graal du baroudeur : l’Authenticité de la rencontre. Bref, pour arrêter dans les adjectifs et les superlatifs, on a eu pas mal de chance de rencontrer ce Josh puisqu’il nous a fait visiter le coin et appris à dompter la vague. Mais avant d’aller plus loin, un petit portrait de personnage s’impose. Josh se présente sobrement  comme un surfeur qui, je cite, “attend sa vague”. On plonge en plein Brice de Nice (référence évidemment connue par l'intéressé).  Josh est donc le surfeur qui assume tous les clichés : une vie d’amour, de marijuana, de vagues et d’eau fraîche en se baladant de spots en spots avec ses planches à l’arrière du Van. Et grâce à lui, on découvre les waterfalls à quelques enjambées de la plage, mais aussi ses plantations de cannabis (promis maman, j’en ai pas fumé) et son campement. Le reste de l’après-midi se passe entre la plage et la mer qui s’énerve tout doucement. Avant goût du simili-typhon qui nous hantera le lendemain. Mais on profite tout de même du calme avant la tempête pour boire des coups avec nos potes surfeurs, rencontrer les habitués du coin et profiter de cette sainte Authenticité.

                Le dimanche se passera sous la pluie. Le genre de pluie qui ne s’oublie pas, sauf évidemment pour Marion qui passe son weekend terrée dans la hutte. Angine oblige. Mais comme on aime le risque et l’aventure, on affronte l’océan avec notre board, guidé par Josh qui tente de nous inculquer les bases de la glisse.  Dompter les vagues de la mer méridionale de Chine, s’élancer sur les flots la tête haute et goûter à l’adrénaline de la glisse, ça fait rêver non ? Du rêve à la réalité, la chute est rude. J’ai galéré sur ma planche trop petite (évidemment, on est aux Philippines), j’ai eu froid, j’ai paddlé, j’ai galéré, je me suis bien marré mais jamais, au grand jamais, j’ai réussi à me lever sur ma planche. Try again. Après ce cuisant échec, la soirée se profile tout doucement autour d’une bonne bière et d’un jeu de carte avec nos potos surfeurs. Cette dernière nuit passée sous la tempête dans une hutte en bambous nous aura finalement confirmé que les prévisions du marin pessimiste et incompétent cité plus haut se seront révélées justes. Cette dernière nuit nous aura également fait découvrir ce qui fait vibrer à l’unisson toutes les Philippines : le karaoké. Rien que pour cette spécialité culturelle, une 3A sous la neige de Toronto ou sans un sous à Londres aurait surement été une meilleure option. Parce que même si les anglaises ne savent pas s’habiller et même si les canadiens ont un sale accent, rien n’est pire que le karaoké. L’essayer, c’est le détester : les chansons sont mauvaises, les clips sont pires que tout, l’instrumentale est scandaleuse, les chanteurs chantent faux (et fort puisque les points sont attribués aux nombre de décibels enregistrés) et, comme pour le pastis, il n’y a pas d’heure pour un bon karaoké (de jour comme de nuit). Une horreur.
Retour mouvementé sous la pluie et dans des paysages inondés, trempés dans la chambre froide pour les 5heures du retour. Nous voilà de retour à Manille avec l’intime conviction qu’il reste des milliards de coins à découvrir dans ce pays, et des dizaines de weekends prolongés à savourer loin de la capitale.







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